L’expulsion du locataire pour loyers impayés

Face à la crise sanitaire, le Président de la République a décidé, par une ordonnance du 10 février 2021, de prolonger la trêve hivernale de deux mois.

Cette trêve, qui s’étend habituellement du 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante, prendra exceptionnellement fin, cette année, le 31 mai 2021.

L’occasion de revenir sur les conditions d’expulsion d’un locataire qui ne paie pas, ou plus, ses loyers et les délais auxquels ce dernier peut prétendre.

Cet article ne traite que de la question de l’expulsion d’un locataire d’un local à usage d’habitation. Les règles sont différentes pour l’expulsion d’une personne occupant un logement sans droit ni titre (squatter) et pour les locaux qui ne sont pas loués à usage d’habitation.

I. L’obtention d’un jugement ordonnant l’expulsion du locataire

Deux cas doivent être distingués selon que le contrat de bail contient ou non une « clause résolutoire », c’est-à-dire une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges.

  1. En présence d’une clause résolutoire

Lorsque le contrat de bail contient une clause résolutoire, celle-ci ne peut produire ses effets qu’à l’expiration d’un délai de deux mois après un commandement de payer demeuré infructueux (article 24 de la loi du 6 juillet 1989).

Concrètement, le propriétaire va devoir solliciter d’un huissier de justice la délivrance d’un « commandement de payer visant la clause résolutoire », par lequel le locataire sera invité à régler sa dette de loyer dans un délai de deux mois.

Ce commandement doit contenir certaines mentions obligatoires, à peine de nullité de l’acte, et prévues notamment à l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, à savoir :

  • La reproduction intégrale de la clause résolutoire insérée au contrat ;
  • La mention que le locataire dispose d’un délai de deux mois pour payer sa dette ;
  • Le montant mensuel du loyer et des charges ;
  • Le décompte de la dette ;
  • L’avertissement qu’à défaut de paiement ou d’avoir sollicité des délais de paiement, le locataire s’expose à une procédure judiciaire de résiliation de son bail et d’expulsion ;
  • La mention de la possibilité pour le locataire de saisir le fonds de solidarité pour le logement de son département, dont l’adresse est précisée, aux fins de solliciter une aide financière ;
  • La mention de la possibilité pour le locataire de saisir, à tout moment, la juridiction compétente aux fins de demander un délai de grâce sur le fondement de l’article 1343-5 du code civil.

Si le contrat de location s’accompagne d’un cautionnement, le commandement doit impérativement être signifié par huissier de justice dans un délai de 15 jours à compter de sa délivrance au locataire. A défaut, la caution ne peut être tenue au paiement des pénalités ou des intérêts de retard.

A réception du commandement, le locataire dispose d’un délai de deux mois soit pour payer sa dette intégralement, soit pour solliciter des délais de paiement auprès de la juridiction compétente, soit pour saisir le fonds de solidarité pour le logement (FSL) afin d’obtenir une aide financière.

A défaut et à l’expiration de ce délai de deux mois, le propriétaire pourra assigner le locataire devant le Juge des contentieux de la protection compétent, afin de solliciter non seulement l’acquisition de la clause résolutoire, mais aussi et surtout l’expulsion simple et immédiate de son locataire (et de tous occupants) du logement occupé.

Cette assignation, délivrée par huissier de justice, doit être notifiée au représentant de l’État dans le département au moins deux mois avant l’audience.

Autrement dit, l’audience ne peut avoir lieu moins de deux mois après la délivrance de l’assignation.

C’est donc un délai incompressible de quatre mois minimum qui sépare la délivrance du commandement de payer de la date de l’audience à laquelle le Juge examinera l’affaire et constatera l’acquisition de la clause résolutoire. 

Muni de son jugement d’expulsion (aussi appelé « titre exécutoire »), le propriétaire pourra ensuite poursuivre l’expulsion de son locataire (voir ci-après, 2.).

  1. En l’absence de clause résolutoire

Il est plus rare que le contrat de bail ne contienne pas de clause résolutoire.

Néanmoins et même dans cette hypothèse, le propriétaire dont les loyers ne sont pas payés n’est pas démuni : il a toujours la possibilité de solliciter du Juge des contentieux de la protection compétent la résiliation judiciaire du contrat de bail pour manquement grave du locataire à ses obligations, en l’occurrence le non-paiement du loyer et des charges.

Si la loi ne l’impose pas, la délivrance au locataire d’une mise en demeure d’avoir à payer l’arriéré de loyers est vivement conseillée, sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception pour des raisons évidentes de preuve.

Il appartient ensuite au propriétaire d’assigner le locataire devant le Juge des contentieux de la protection compétent d’une demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat.

En présence d’une clause résolutoire, le Juge ne peut que constater la résiliation du contrat. En l’absence de cette clause, le Juge la prononce.

Autrement dit, dans cette hypothèse, le Juge va apprécier et mesurer la gravité des manquements que le propriétaire reproche à son locataire, pour juger s’il doit ou non prononcer la résiliation du contrat. Il n’est pas à exclure, par exemple, que le Juge ne prononce pas la résiliation du contrat de bail en présence d’une dette locative qu’il estime modeste.

II. L’exécution du jugement d’expulsion

  1. La signification du jugement et du commandement d’avoir à quitter les lieux

Une fois le jugement d’expulsion rendu, il appartient au propriétaire de faire signifier ce jugement par huissier de justice au locataire. L’huissier doit par ailleurs, par même acte ou par acte séparé,  signifier au locataire un commandement d’avoir à quitter les lieux. C’est ce que prévoit l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution.  

  1. Le délai automatique de deux mois

Par application de l’article L. 412-1 du code des procédures civiles d’exécution, l’expulsion en tant que telle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant le commandement d’avoir à quitter les lieux.

Autrement dit, la loi octroie à la personne expulsée, de manière automatique, un délai de deux mois pour quitter le logement.

La loi réserve néanmoins au Juge, dans certains cas particuliers (notamment lorsque « l’expulsion aurait pour la personne concernée des conséquences d’une exceptionnelle dureté, notamment du fait de la période de l’année considérée ou des circonstances atmosphériques) et sur demande du propriétaire ou du locataire, le pouvoir de réduire ou d’augmenter ce délai pour une période maximum de 5 mois.

  1. Le délai de grâce à la demande du locataire

Ensuite, l’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution permet au Juge de l’exécution d’octroyer un délai de grâce compris entre trois mois et trois ans à la personne expulsée, à la demande de celle-ci, lorsque « le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales ».

Ce délai supplémentaire ne pourra donc être octroyé à la personne expulsée que si celle-ci rapporte la preuve de  son impossibilité de trouver un nouveau logement dans des conditions normales.

Les seules difficultés financières ne sont pas suffisantes pour que ce délai de grâce soit octroyé : il faut véritablement une preuve de ce que le relogement ne peut pas avoir lieu dans des conditions normales.

Le juge s’appuie sur différents critères : l’âge, l’état de santé, la situation de famille et de fortune, etc. Le juge appréciera également la bonne ou la mauvaise foi de l’intéressé.

  1. La trêve hivernale

Enfin, toute personne dont l’expulsion est ordonnée bénéficie de la fameuse « trêve hivernale », prévue à l’article L. 412-6 du code des procédures civiles d’exécution.

La loi suspend toutes mesures d’expulsion entre le 1er novembre de chaque année au 31 mars de l’année suivante (jusqu’au 31 mai 2021 compte tenu de la crise sanitaire).

Ce délai est de droit. Il joue de manière automatique sans qu’il soit nécessaire de saisir le Juge de l’exécution. Si la procédure d’expulsion est en cours au 1er novembre, elle est automatiquement suspendue et reprendra son cours à compter du 1er avril suivant.

  1. Les opérations d’expulsion

Une fois les délais écoulés, les opérations d’expulsion à proprement parler pourront avoir lieu.

L’expulsion est conduite par un huissier de justice.

Conformément à l’article L. 141-1 du code des procédures civiles d’exécution, l’expulsion ne peut avoir lieu un dimanche ou un jour férié. En outre, l’expulsion ne peut avoir lieu entre 21h00 et 06h00.

L’huissier de justice doit se rendre sur les lieux, accompagné du maire de la commune, ou d’un conseiller municipal délégué par le maire à cette fin, d’une autorité de police ou de gendarmerie, à défaut de deux témoins majeurs.

L’huissier doit entrer dans les lieux, avec ou sans serrurier, et doit demander à l’occupant de quitter les lieux.

Si la personne expulsée part sans résistance, l’huissier de justice dresse le procès-verbal d’expulsion. Il en va de même en l’absence de la personne, auquel cas il conviendra de s’assurer du sort des biens meubles qui pourraient rester dans le local.

Si la personne expulsée résiste, l’huissier ne peut procéder à l’expulsion par la force de son propre chef. Il devra solliciter des services de la préfecture le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion et dresser le procès-verbal d’expulsion

S’agissant des biens meubles trouvés par l’huissier de justice dans le logement désormais vacant, l’huissier doit dresser un inventaire des éventuels meubles laissés dans le logement par la personne expulsée et aider à leur évacuation dans les meilleures conditions.

En l’absence de la personne expulsée, il appartiendra à l’huissier de justice de déterminer si les meubles peuvent être ou non considérés comme « abandonnés ». Dans l’affirmative, il s’en débarrasse aux frais du créancier. A l’inverse, s’il estime que les meubles n’ont pas été abandonnés, il les placera sous séquestre, après avoir inscrit dans le procès-verbal d’expulsion les caractéristiques essentielles de ces meubles. Dans ce cas, le transport est à la charge de la personne expulsée.

La personne expulsée recevra une sommation d’avoir à retirer ses meubles dans le délai d’un mois. A l’expiration de ce délai,  la vente de ces biens aux enchères publiques peut être sollicitée auprès du juge de l’exécution, et le fruit de ces enchères bénéficiera à la personne expulsée.

S’agissant des affaires personnelles (photos, pièces d’identité, …), l’huissier doit les conserver à son étude pendant deux ans.

La procédure d’expulsion est une procédure longue et complexe.

Si l’assistance d’un avocat n’est pas obligatoire devant le Juge des contentieux de la protection, ni le propriétaire, ni le locataire ne peuvent faire l’économie de l’assistance d’un avocat compétent qui saura les conseiller efficacement dans la défense de leurs intérêts.

Le Cabinet BRT intervient régulièrement dans ce type de litige, tant pour les propriétaires lésés que pour les locataires menacés.

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Par Jérémy Delaunay